Grandes et petites entreprises : plus de complémentarité pour plus de compétitivité

| Rapport

Alors que les tensions commerciales déstabilisent des échanges mondiaux déjà en voie de reconfiguration depuis la crise du COVID-19, le niveau de volatilité dans le commerce et les chaînes de valeur mondiales continue de s’amplifier. Avant même les dernières initiatives protectionnistes américaines, les barrières tarifaires entre États-Unis et Chine avaient déjà été multipliées par 6 entre 2017 et 2024, tandis que le nombre d’interventions gouvernementales sectorielles dans le monde avait crû de 390%, en conjuguant leurs effets perturbateurs sur les flux transfrontaliers.

Au-delà des risques liés à l’incertitude, aux vulnérabilités opérationnelles, à l’insécurité juridique que génèrent ces chocs en série, ils créent aussi des opportunités de renforcement des filières françaises et européennes. Dans ce mouvement de recomposition des flux économiques, l’impératif de résilience incite bon nombre d’acteurs à rapprocher, dupliquer ou multi-localiser leurs sources d’approvisionnement.

Face à ces mutations accélérées, les TPE-PME nationales et européennes représentent un vivier de fournisseurs alternatifs ou complémentaires pour les grandes entreprises de notre continent, mais aussi celles des autres zones géographiques pour lesquelles l’UE est un marché. Il peut donc y avoir là une occasion de renforcer les écosystèmes productifs de notre économie.

Dans cette optique, le niveau de productivité du tissu de TPE-PME est capital, à la fois pour les fortifier face aux bouleversements mondiaux, et pour en faire les composantes de chaînes de valeur plus solides et compétitives avec les grandes entreprises européennes et françaises.

En effet, s’il est évident que la performance de chacun des maillons – grandes comme petites entreprises – est essentielle pour assurer la compétitivité de leurs productions communes, ce qui est moins intuitif, c’est l’interdépendance très forte entre leurs niveaux de productivité, qui conditionne la réussite et la résilience des filières. Souvent moins visibles que les grands groupes, les TPE-PME représentent la vaste majorité du tissu économique, mondial et français1. En dépit de leur rôle crucial, leur productivité peine partout à atteindre celle des grands groupes. Notre rapport explore le potentiel qu’offre une augmentation de cette productivité et propose des pistes de réflexion pour que toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes, puissent en tirer pleinement profit.


Les TPE et PME jouent un rôle économique majeur dans les économies avancées. Dans les 17 pays examinés totalisant plus de 50% du PIB mondial, elles représentent plus de 90 % des entreprises, génèrent deux tiers de l’emploi et plus de la moitié de la valeur ajoutée dans les secteurs marchands. En France, les TPE-PME représentent l’écrasante majorité des entreprises (99,9%), pèsent 55% des emplois et produisent 44% de la valeur ajoutée.

Les TPE-PME soutiennent la compétitivité des grands groupes. Elles sont déterminantes pour la solidité et la performance des chaînes de valeur qui conditionnent la réussite des grands fleurons nationaux. Elles leur apportent :

  • Un moyen de sécuriser leurs approvisionnements critiques, susceptible de renforcer leur résilience face aux perturbations, de plus en plus fréquentes, des supply chains mondiales.
  • Des gains d’agilité leur permettant de répondre avec une réactivité accrue aux mutations brusques de leurs marchés, la proximité géographique réduisant notamment les délais.
  • Une réponse aux évolutions réglementaires, en particulier concernant les enjeux croissants de souveraineté et d’environnement. Elles disposent d’une capacité à opérer en conformité avec toutes les réglementations en vigueur et avec les normes RSE ou de traçabilité.
  • Des solutions innovantes, en développant à moindres coûts des innovations de pointe dans des secteurs comme la pharmacie, la technologie et l’énergie. Par leur proximité, elles offrent par ailleurs des garanties solides en matière de connaissance des consommateurs finaux et de protection des données ainsi que de la propriété intellectuelle.
  • Des opportunités de croissance externe pour les grands groupes qui peuvent les intégrer dans des stratégies d’expansion très ciblées : de fait, dans l’économie française, 60% des opérations d’acquisition concernent des TPE-PME.

Si les TPE-PME s’imposent comme des acteurs économiques incontournables, elles restent sensiblement moins productives que les grandes entreprises. La France se distingue par un niveau de productivité élevé de ses TPE-PME dans l’échantillon des pays étudiés, devant les États-Unis et le Japon. Cependant, les TPE-PME françaises restent 35% moins productives que les grandes entreprises du pays, alors que le différentiel n’excède pas 16% au Royaume-Uni. Comparativement aux autres pays, ce sont les moyennes entreprises (50 à 249 salariés) – plus que les petites entreprises (10 à 49 salariés) – qui, en France, peinent à gagner en productivité. Elles se trouvent exposées à quatre principaux freins : la capacité à attirer et développer les talents, l’accès au capital, les ressources en R&D et technologie ainsi que l'accès aux marchés.

Ceci explique sans doute que la difficulté pour les TPE-PME de passer à l’échelle s’avère plus forte en France que dans d’autres économies avancées : notre pays ne compte que 5 800 ETI, soit 27% de moins que l’Italie (qui en compte 8 000), 42% de moins que le Royaume-Uni (10 000) et 2 fois moins que l’Allemagne (12 500). Surtout, aucune des PME françaises n’est parvenue à se hisser parmi les très grandes entreprises cotées au cours des 25 dernières années2. Par comparaison, 18% des plus grandes entreprises du Royaume-Uni, 10% de celles de l’Allemagne et 5% de celles de l’Italie ont été des PME entre 2000 et 2025.

Face à ces défis, une collaboration renforcée entre grandes et petites entreprises apparaît comme un vecteur essentiel d’amélioration de l’écosystème économique dans son ensemble. D’une part, c’est un moyen particulièrement efficace de renforcer la productivité, certes, globalement élevée mais très hétérogène, des TPE-PME. Surtout, c’est l’opportunité pour ces dernières de gagner en échelle pour combler le déficit d’ETI qui fragilise le tissu français. Augmenter le niveau de productivité des TPE-PME en France pour atteindre celui du quartile supérieur des économies avancées équivaudrait à une hausse de 2% du PIB français, soit un gain de 58 Mds€ chaque année. Les réalités diffèrent nettement d’un secteur à l’autre, et ceux où les marges d’amélioration s’avèrent les plus élevées pour la France sont avant tout les services aux particuliers, le commerce, les services professionnels et l’industrie manufacturière (qui totalisent à eux quatre plus de 80% des gains potentiels), ainsi que la construction et les secteurs de l’information et de la communication.

Les grandes entreprises ont un rôle significatif à jouer pour stimuler la productivité collective. Notre analyse démontre statistiquement que les gains de productivité des TPE-PME et des grandes entreprises vont de pair. Comme dans la plupart des pays, on observe en France une forte productivité relative des TPE-PME opérant dans les secteurs B2B, qui n’ont que 29% d’écart de productivité avec les grandes entreprises, contre 37% pour celles qui ont des activités B2C, soit un différentiel de 8 points de pourcentage. Développer les dynamiques collaboratives avec les grandes entreprises permettrait donc aux TPE-PME françaises, dans une logique gagnant-gagnant, d’améliorer leur productivité tout en renforçant la performance des grands groupes. Quatre axes majeurs peuvent être envisagés pour établir entre elles de véritables « partenariats de compétitivité » :

  • Bâtir des stratégies de compétences conjointes, alors que seules 30% des TPE-PME disposent de programmes de formation de leurs collaborateurs contre 70 % des grandes entreprises et que leurs difficultés à embaucher sont élevées : les très petites entreprises françaises comptent 3 fois plus d’emplois vacants que celles de plus de 10 salariés.
  • Renforcer les approches de co-investissement ou d’appui au financement. A l’échelle globale, les TPE-PME ont 1,5 fois moins accès aux prêts bancaires, et sont 2 fois plus nombreuses à considérer l’accès aux financements comme leur principal obstacle.
  • Exploiter toute la valeur des architectures ouvertes en matière de R&D et d’accès aux technologies. Les TPE-PME ne sont que 17% à avoir pu investir en R&D sur les douze derniers mois contre 31% pour les grandes entreprises, et elles sont 2 fois moins équipées en technologies, aussi bien génériques qu’avancées.
  • Garantir la résilience à l’échelle de la chaîne de valeur, notamment en favorisant l’accès des TPE-PME à l’export. Les PME françaises servent 2 fois moins les marchés étrangers que leurs homologues britanniques ou italiennes.

Nous avons approfondi notre analyse pour 4 secteurs sur lesquels la France se différencie, et où le potentiel d’amélioration de productivité pour la filière est important :

  1. CleanTech : L’écosystème français est riche d’innovations avancées – comment lever les freins à son expansion lors du passage de la phase pilote à l’industrialisation et l’export ?
  2. Logiciel : 20 000 PME françaises opèrent en cloud computing, IA, cybersécurité et logiciels – comment les rendre attractives face aux solutions digitales internationales établies ?
  3. Défense : L’augmentation des capacités et de la cadence de production est cruciale pour atteindre les objectifs nationaux et européens. Les 4 500 TPE-PME qui fournissent des composants et systèmes aux grands maîtres d'œuvre tels qu'Airbus, Dassault Aviation, Thales et Safran sont en première ligne.
  4. Luxe : Avec 615 000 emplois et 150 Md€ de chiffre d’affaires, le secteur du luxe français est un pilier économique avec de grandes valeurs du CAC40, comme LVMH et Hermès, soutenues par un réseau dense de PME qui va devoir évoluer face à une concurrence internationale accrue et une évolution des attentes clients - vers la digitalisation, la création d'expériences, et la transition écologique.

Miser sur l’écosystème fertile des TPE-PME en amplifiant leurs gains de productivité s’avère une voie prometteuse pour renforcer simultanément la résilience, la souveraineté et la compétitivité des acteurs économiques français. Face aux grandes entreprises internationales concurrentes, les logiques de coopération (co-investissements, formations conjointes des collaborateurs, partage de bonnes pratiques, appui à l’exportation…), plutôt qu’un pur rapport de force auquel se réduit parfois le lien client-fournisseur, amélioreraient la performance des filières françaises. Elles exploiteraient au mieux la complémentarité des atouts que leur taille confère à chacune des catégories d’entreprises : l’agilité, la vitesse d’exécution, la spécialisation de pointe, l’ancrage local pour les plus petites, combinés à la solidité, la capacité de projection sur le long terme, l’aptitude à mobiliser des ressources et l’accès aux marchés mondiaux pour les plus grandes.

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